Tom se
réveilla ce soir-là à huit heures, mais il faisait encore trop clair pour qu’il
se remette en route. Il attendit. Nick était revenu le voir dans son sommeil, et
ils avaient parlé. C’était si bon de parler à Nick.
Couché à l’abri de son gros
rocher, il regardait le ciel noircir. Les étoiles avaient commencé à percer. Il
pensa à des chips Pringle et se dit qu’il aimerait bien en manger. Lorsqu’il
serait revenu dans la Zone – s’il revenait dans la Zone – il en aurait autant
qu’il voudrait. Il se bourrerait de chips Pringle. Et il se prélasserait dans l’amour
de ses amis. C’était ce qui manquait à Las Vegas, pensa-t-il – simplement l’amour.
Les gens étaient plutôt gentils, mais ils n’avaient pas beaucoup d’amour. Ils n’avaient
pas le temps, parce qu’ils avaient trop peur. L’amour ne pousse pas très bien dans
un endroit où il n’y a que de la peur, comme les plantes ne poussent pas très
bien dans un endroit où il fait toujours noir.
Il n’y a que les champignons qui
deviennent gros et gras dans le noir, même lui savait ça, putain, oui.
– J’aime Nick et Frannie et
Dick Ellis et Lucy murmura Tom dans le noir. J’aime Larry Underwood et Glen
Bateman aussi. J’aime Stan et Rona. J’aime Ralph. J’aime Stu. J’aime…
C’était sa prière. Mais il
trouvait étrange de se souvenir aussi facilement de leurs noms. Là-bas dans la
Zone, il avait de la chance quand il se souvenait du nom de Stu lorsqu’il
venait le voir. Ce qui le fit penser à ses jouets. Son garage, ses petites voitures,
ses petits trains. Il s’était amusé avec eux pendant des heures et des heures. Mais
il se demandait s’il aurait toujours envie de jouer autant lorsqu’il
reviendrait de ce… s’il revenait. Ça ne serait plus la même chose. Triste, mais
peut-être bien aussi.
– Le Seigneur est mon berger,
récita-t-il d’une voix douce. Rien ne saurait me manquer. Dans ses verts
pâturages, il me fait reposer. Il me met de la brillantine dans les cheveux. Il
m’apprend le kung-fu pour me défendre contre mes ennemis. Amen.
Il faisait assez noir maintenant,
et il se remit en route. À onze heures et demie, il arriva au Doigt de Dieu et
s’y arrêta pour manger. Il dominait le désert d’où il était et, en regardant du
côté où il était venu, il vit des lumières qui bougeaient. Sur l’autoroute
pensa-t-il. Ils me cherchent.
Puis il regarda vers le nord-est
à nouveau. Très loin, à peine visible dans le noir (la lune, qui avait été
pleine deux nuits plus tôt, avait déjà commencé à se coucher), il vit un énorme
dôme de granit. C’est là qu’il devait aller.
– Tom a mal aux pieds, murmura-t-il
avec bonne humeur.
Effectivement, les choses auraient
pu être bien pires.
– Putain, ça c’est du mal
aux pieds.
Il marcha et marcha au milieu des
choses de la nuit qui s’écartaient sur son passage et, lorsqu’il se coucha à l’aube,
il avait fait plus de soixante kilomètres. À l’est, la frontière entre le Nevada
et l’Utah n’était plus loin.
À huit heures du matin, il était
profondément endormi, la tête posée sur son blouson. Ses yeux commencèrent à
bouger rapidement derrière les paupières.
Nick était venu et Tom lui
parlait.
Tom fronça les sourcils dans son
sommeil. Il venait de dire à Nick qu’il avait très envie de le revoir bientôt.
Mais pour une raison qu’il ne
pouvait comprendre, Nick s’en était allé.
